Vous êtes un acteur de la filière cuir ?
Alors le nouveau règlement anti-déforestation de l’UE vous impactE.
On vous explique pourquoi, et surtout, comment vous préparer !
Pour lutter contre la déforestation causée par l’importation de certains produits, l’Union Européenne a adopté le règlement EUDR (European Union Deforestation Regulation) en juin 2023.
Inspiré du règlement bois RBUE (Règlement sur le Bois de l’Union Européenne) en vigueur depuis 2013, le règlement EUDR provoque un changement d’échelle en passant de la lutte contre l’illégalité du bois à l’éradication de la déforestation et la dégradation des forêts liées à la production de matières premières.
Il s’appliquera à la plupart des entreprises exerçant des activités au sein de l’UE à partir du 30 décembre 2024, et interdira concrètement aux entreprises européennes d’importer sur le marché européen des produits illégaux ou liés à la déforestation.
Vous avez donc moins d’un an pour vous conformer au règlement ! Qu’est-ce que l’EUDR et quel impact aura-t-il sur l’industrie du cuir ?
Voici quelques éléments de réponse !
Pourquoi ce règlement est-il si important ?
L’état de la déforestation est largement documenté dans de multiples articles et rapport.
Deux idées nous semblent malgré tout importantes à rappeler.
- La première, c’est qu’aujourd’hui, la déforestation continue. Des pertes nettes de 5 millions d’hectares par an sont enregistrées, avec des impacts significatifs sur les émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité, et les communautés locales.
- La seconde, c’est que les importations de l’Union Européenne représentent tout de même 16 % de la déforestation mondiale. Notre responsabilité est significative, nous devons agir.
Suis-je impacté ?
Le règlement vise 7 matières premières (dites « de base »), dont le bœuf, et les produits qui en sont dérivés, notamment le cuir (dits « produits en cause », listés à l’annexe 1 du règlement, selon leur code douanier).
En ce qui concerne les acteurs, tous les maillons de la filière sont visés.
- Ainsi, si vous importez du cuir, brut, semi-fini ou fini en Europe en vue de sa transformation, en tant par exemple que collecteur, négociant de peaux ou cuir ou tanneur, vous êtes directement visé en tant que premier metteur sur le marché (sous la catégorie « opérateur »).
- Par ailleurs, si vous achetez du cuir déjà importé sur le marché interne de l’Union Européenne pour le transformer et/ou le revendre, vous êtes aussi concerné, mais selon la catégorie « commerçant ». Les exigences applicables diffèrent légèrement (cf. section « Les points clés à retenir »).
- En revanche, si vous êtes une marque de chaussures, maroquinerie et accessoires qui produit, achète ou vend au détail des produits finis contenant du cuir (que vous n’avez donc pas retransformé), vous n’êtes pas directement concerné. Néanmoins toute votre chaine d’approvisionnement est impactée et cela risque de bouleverser vos sourcing de matières.
A noter également que s’il vise d’abord la déforestation importée, le règlement s’applique aussi pour toute exportation depuis l’Union Européenne. Les mêmes règles s’appliquent donc si vous vendez du cuir produit en Europe sur le marché extra-européen.
Note : gardez en mémoire qu’une révision est prévue d’ici 2 ans, et que d’autres produits ou d’autres acteurs pourraient être inclus dans le périmètre du règlement.
Que dois-je prouver ?
Pour pouvoir mettre sur le marché européen des marchandises (ou en exporter), les entreprises concernées directement par la réglementation (les opérateurs donc) devront remplir et prouver et remplir les conditions suivantes :
- « Zéro déforestation » : le produit ou matière première n’a contribué ni à la déforestation ni à la dégradation de forêts après le 31 décembre 2020 (cut-off date)
- « Légalité » : ils ont été produits conformément à la législation en vigueur du pays de production (en matière notamment d’utilisation des terres, de protection d l’environnement, de gestion des forêts et conservation de la biodiversité mais également droits humains, etc.)
- « Déclaration de Due-diligence » : ils sont accompagnés d’une déclaration de due diligence raisonnée, conformes aux exigences prévues par le règlement.
Concrètement, les marchandises seront donc autorisées à accéder au marché européen sous réserve qu’elles soient accompagnées de leur déclaration de diligence raisonnée (émise par l’entreprise), dont les informations, bien encadrées et précisées par le règlement, permettront de caractériser les conditions de production et ainsi d’en évaluer le niveau de risque.
Le principal défi que les entreprises sont donc tenues de relever réside donc dans la mise en œuvre de ce fameux « système de diligence raisonnée », qu’elles devront revoir à minima une fois par an.
Qu’est-ce que je risque ?
Les amendes possibles en cas de non-conformité sont lourdes : jusqu’à 4% du chiffre d’affaires réalisé dans l’UE par l’importateur, en plus de la confiscation des produits par les douanes entre autres.
La fréquence des contrôles variera en fonction du niveau de risque de la zone de production (l’UE proposera rapidement un système de classification des pays en fonction des risques liés à la déforestation).
Les points clés à retenir
• Le concept central de diligence raisonnée (due diligence)
L’exigence clé est l’obligation pour les opérateurs de mettre en œuvre un système de diligence raisonné.
Cette démarche se déroule en 3 temps :
>> 1. LA collecte d’information
Les entreprises doivent acquérir des informations sur leurs produits, à savoir une description du produit, des informations sur la quantité, le pays de production, la géolocalisation de la (ou des) ferme(s) ou de la forêt d’où provient le produit, la date ou période de production et le nom et contact du fournisseur.
Les entreprises doivent également obtenir des preuves concluantes attestant que la production du produit est exempte de déforestation et qu’elle respecte les lois du pays d’origine.
>> 2. L’évaluation du risque
Sur la base des informations collectées, l’entreprise doit évaluer s’il existe un risque que les produits destinés à être mis sur le marché ne soient pas conforme. L’évaluation du risque doit tenir compte de l’attribution d’un niveau de risque du pays de production (prochainement proposé par l’Union Européenne), mais également de la présence de forêts à proximité de la zone de production, de la présence de populations autochtones, de cas de violation des droits de l’homme, des préoccupations liées à la corruption, de la complexité de la chaine, etc.
Cette analyse complète doit être documentée et mise à jour au moins une fois par an.
>> 3. L’Atténuation du risque
Si l’évaluation des risques conclut à l’absence de risque (ou seulement négligeable), aucune autre action n’est requise et les produits peuvent être mis sur le marché / exportés. En revanche, si des risques sont identifiés, l’entreprise doit prendre des mesures d’atténuation des risques comme collecter des données supplémentaires, procéder à des audits, etc.
A noter : Le texte prévoit deux niveaux d’obligation selon que vous êtes un opérateur ou un commerçant. Les opérateurs sont responsables de la mise en œuvre du système de due diligence et de prouver la conformité de leurs produits, tandis que les commerçants sont tenus de récupérer les déclarations de due diligence associées et de les transmettre aux acteurs aval.
• L’Obligation de traçabilité par geolocalisation jusqu’à la parcelle
La traçabilité est au cœur de l’EUDR.
Dans le cadre de la collecte d’information exigée par le système de due diligence raisonnée, le règlement impose aux opérateurs de devoir remonter leur chaine d’approvisionnement jusqu’aux parcelles exactes de production.
La notion requise de géolocalisation correspond aux coordonnée GPS de la parcelle de production, ou du périmètre de la parcelle (en utilisant un polygone).
Attention, pour les bovins et le cuir, cette exigence de géolocalisation s’applique à tous les établissements par lesquels l’animal a transité (par exemple la ferme de naissance, l’atelier d’engraissement, etc.).
A noter : couplées à l’utilisation de données d’imagerie satellites (publiques ou privées – en fonction des ressources et des moyens des entreprises), ces informations de géolocalisation constitueront un élément déterminant pour prouver l’absence de déforestation sur les parcelles concernées.
• La certification, une réponse incomplète
Le règlement mentionne clairement que les schémas de certification ne constituent pas une réponse complète et suffisante, et ne se substituent pas à la responsabilité de l’entreprise. Il peut néanmoins y être fait référence dans l’évaluation du risque pour fournir des informations complémentaires sur le respect des exigences.
Ainsi par exemple, la certification LWG est en cours de révision pour intégrer plus de critères sur la traçabilité et sur le système de diligence raisonnée.
Acteurs de la filière cuir : les principaux défis de mise en œuvre qui vous attendent
• Des chaines d’approvisionnement complexes à découvrir
Les chaînes d’approvisionnement des matières premières de base ciblées par ce nouveau règlement sont dans la grande majorité des cas très complexes, car fortement mondialisées, opérées par de multiples acteurs et souvent opaques.
Dans le cas de la filière bovine, les systèmes de traçabilité en place – quand ils existent – sont généralement destinés à suivre les carcasses, afin de répondre aux exigences de l’industrie agroalimentaire. La traçabilité des produits dérivés et transformés, comme le cuir, est donc bien souvent perdue au niveau des abattoirs, et il devient alors quasiment impossible pour les derniers acteurs de la chaîne utilisant les peaux de remonter jusqu’aux différents lieux de naissance et d’élevage des animaux.
A noter : bien que des systèmes de traçabilité au lot existent parfois sur les peaux en sortie d’abattoir ou en tannerie, ils sont souvent insuffisamment précis et ne permettent pas forcément de répondre aux exigences du présent règlement. Autre élément spécifique aux produits issus de l’élevage bovin et complexifiant l’exercice, la durée de production dans le temps. Entre la naissance des animaux et la transformation des peaux, plusieurs années s’écoulent. Des animaux abattus en 2025 et dont les peaux commercialisées au sein (ou en dehors) de l’UE seront soumises à la réglementation sont donc déjà nés et possiblement en cours de transfert d’un lieu d’engraissement à l’autre.
• La notion de légalité, délicate à évaluer
L’un des points clés de la réglementation repose sur la preuve que les marchandises ont été produites conformément à la législation en vigueur du pays de production, par exemple en matière de gestion des forêts, de conservation de la biodiversité ou encore de droits humains.
Or, cette notion de légalité par pays n’est pas si évidente à évaluer. Au-delà de la variabilité d’un pays à l’autre, comprendre ce qui est légal ou non, et par voie de conséquence, s’assurer que la production en question est bien conforme aux exigences du règlement, pourra sans doute s’avérer délicat.
• Le manque de moyens disponibles
Dans la grande majorité des filières concernées, les moyens et les outils actuellement en place en matière de collecte d’information et/ou de traçabilité ne permettent pas de répondre aux exigences de la réglementation.
Pour les acteurs concernés (et particulièrement les plus petits d’entre eux), la mise en conformité nécessitera donc des adaptations significatives en matière d’organisation interne, de logistique et de coûts de production, à supporter sans aucun doute par des investissements humains, techniques et financiers non négligeables.
• Un marché et des approvisionnement perturbés
Au niveau des marchés, une perturbation des chaines d’approvisionnement et une complexification des achats de peaux brutes ou des cuirs sont à prévoir.
Au-delà de l’augmentation et de la volatilité des coûts attendues provoquées par les charges additionnelles évoquées ci-dessus, d’éventuelles difficultés d’approvisionnement, voire des ruptures de stock, pourraient naitre sur les produits issus de filières vérifiées comme conformes et traçables.
Pour conclure… il est temps de passer à l’action !
« La transparence et la traçabilité sont quasi inexistantes dans les chaînes d’approvisionnement en cuir, et il est fort probable que les entreprises qui achètent du cuir auprès des principaux fournisseurs de cuir brésiliens achètent du cuir provenant de vaches qui ont brouté sur des terres déboisées. À l’heure actuelle, personne ne peut prouver que le cuir qu’il achète est exempt de déforestation ».
Anne Leifsdatter Grønlund
Comme le souligne Anne Leifsdatter Grønlund, conseillère en matière de déforestation zéro à la Rainforest Foundation Norway, cette réglementation est tout autant ambitieuse que nécessaire !
Où que vous vous situiez dans la chaine d‘approvisionnement, la maîtrise de vos achats, la traçabilité et la diligence raisonnée sont des notions clés à mettre en œuvre, dès maintenant.
Grâce à notre expertise sur la filière cuir et le sourcing responsable, nous pouvons vous aider à relever ces défis !
Voici d’ores et déjà quelques indispensableS :
- Commencez par cartographier vos chaines d’approvisionnement (tanneries de finition, travail de rivière, négociants, abattoirs, etc.) Puis engagez-vous dans une démarche de traçabilité produit ;
- Intégrez vos fournisseurs dans votre démarche : ils sont des maillons opérationnels clés, sans qui vous ne pourrez atteindre vos objectifs ;
- Rapprochez-vous de vos sources (les éleveurs) ! Ainsi vous pourrez construire des filières parfaitement maitrisées.
Besoin d’approfondir ?
Parlons-en plus en détail ensemble !
- Emilie Floc’h – Co-fondatrice Origem
emilie.floch@origem.fr - Audrey Laffaille – Chargée de projets sourcing responsable
audrey.laffaille@origem.fr